Victoria’s Secret : quand les paillettes donnent des ailes

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Tissus irisés ou lamés, couleurs pastel et criardes, strass et paillettes de toutes parts, ailes extravagantes et massives caractéristiques de la marque… Pas de doute, il s’agit bien là du traditionnel défilé de la marque de lingerie Victoria’s Secret. Chaque année, le même rituel se répète :  les grands médias relaient l’événement et très vite les images inondent les réseaux sociaux. Quelques semaines en amont déjà, d’impatients observateurs spéculent sur l’identité des heureuses élues, ces mannequins triés sur le volet qui auront le privilège d’en être… Ensuite, la marque et son armée angélique passent à l’offensive, prenant pour arme première les réseaux sociaux. Il n’y a pas de mystère : les deux nouvelles recrues les plus remarquées cette année, Gigi Hadid et Kendall Jenner, totalisent à elles deux 50 millions d’abonnés sur Instagram : une aubaine pour la marque dont le cœur de cible est justement une clientèle jeune et connectée. Pourtant, force est de constater que les années passent et qu’un sentiment de lassitude peut vite s’installer. En soi, les collections présentées à l’occasion des défilés ne présentent rien de révolutionnaire, elles se ressemblent beaucoup d’une année sur l’autre. Là où la marque tire son épingle du jeu, c’est justement qu’elle est capable de créer l’événement autour d’un non-événement. L’utilisation presque à outrance des réseaux sociaux et les moyens colossaux alloués chaque année sont sûrement les clefs de voûte d’un tel succès.

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Créer l’envie

La stratégie de Victoria’s Secret est de séduire les clientes sur les réseaux sociaux (Facebook et Instagram principalement) afin de les amener précisément à finaliser un achat sur Internet. Les Anges suivent pour ce faire un protocole bien précis.  D’abord, elles exultent en apprenant que leur nom figure au casting de l’année (dans le cas d’un recalage ou d’un refus volontaire, belles joueuses, elles félicitent chaleureusement leurs consœurs). Ce fut souvent le cas de Kendall Jenner, qui a affirmé cette année que son rêve de toujours se réalisait enfin. Ensuite, elles mettent en scène leur préparation pour le grand jour – et le culte du corps se met au service de cette séquence. Elles publient des photos d’elles en train de s’entraîner au grand air ou dans une salle de gym, en veillant bien à y identifier ou « tagger » le compte officiel de VS et le coach à l’œuvre. En présentant ses recrues comme des marathoniennes se préparant pour une course à enjeu et en concluant des partenariats avec des professionnels du sport, la marque réalise un tour de passe-passe. Il y a quelques années, VS avait suscité un tollé avec sa campagne « Perfect Body » qui présentait une rangée de mannequins extrêmement minces, les érigeant donc au statut de corps parfait, sorte d’idéal plastique et esthétique vers lequel la consommatrice devait tendre. Mais des réactions très vives sur les réseaux sociaux avaient fait entendre une autre voix que celle des Anges, celle d’un commun des mortels aux mensurations moins standardisées. La marque prône donc désormais le dynamisme des corps et des silhouettes élancées plutôt qu’un culte de la maigreur, notamment par l’effort sportif (oui, un Ange peut donc bien faire de la boxe). Quand on sait que les comptes prônant un mode de vie plus sain sur les réseaux sociaux ont le vent en poupe, on comprend mieux ce repositionnement.

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Des moyens considérables

Chaque année, on peut dire que la marque met le paquet pour assurer un show donc la visibilité doit être mondiale. Il suffit de se souvenir de l’édition 2014, lorsque la marque avait littéralement affrété un avion à sa propre effigie. Les Anges avaient massivement relayé l’événement sur les réseaux sociaux : le fuselage de l’avion, les cartes d’embarquement, l’habillage des sièges… Tout était fuchsia. La marque cherche là encore à séduire des jeunes filles pas encore tout à fait sorties de l’enfance, comme si une meute de Barbie prenait l’avion.  Et comme bien sûr les Anges constituent une grande bande d’amies soudées et bienveillantes, sourires et légendes élogieuses étaient de rigueur sur chaque photo de groupe. C’est donc un imaginaire régressif et idéalisé qui se met en place : la beauté des Anges irradie, elles sillonnent le ciel dans leur avion rose et luxueux, l’ambiance est bonne enfant… L’observateur peut vite se laisser happer par un tel matraquage publicitaire, et réellement se laisser convaincre qu’il s’agit bien là de créatures oniriques, de nymphes, qu’on ne peut s’empêcher de regarder et d’admirer malgré nos premières réticences. La marque ne joue pas tant sur un effet d’identification aux modèles elles-mêmes que sur une identification à l’inatteignable, à un monde comme retouché où tout est doux, léger, beau, cotonneux.

Une formule tout-en-un

Pourtant, beaucoup d’observateurs s’accordent à dire que cette marque se distingue par son style légèrement kitsch et ses matières de piètre qualité. Le tout vendu à des prix à peu près équivalent à ceux pratiqués par Etam. Les deux marques se situent donc sur le même créneau, celle d’une lingerie abordable et dans l’air du temps, qui convoite les jeunes filles. Et si Etam organise également un défilé –certes moins médiatisé– comment expliquer alors que l’aura de Victoria’s Secret soit plus marqué que celui de son concurrent direct ? Le défilé n’y est probablement pas pour rien. Plus qu’Etam, Victoria’s Secret a su, par son défilé, faire oublier qu’elle était une marque qu’on pourrait raisonnablement qualifier de cheap. Le défilé VS est bien plus qu’une simple succession de mannequins dévêtus sur un podium : c’est un concert pop (Taylor Swift et Selena Gomez en personne y ont chanté respectivement en 2014 et 2015), une aventure humaine (voyage de groupe, préparatifs et attente collective en coulisses) et une fête monumentale (la fameuse soirée post-défilé). C’est aussi, semble-t-il, un souvenir impérissable pour les Anges qui, presque toutes, postent dans la foulée quelques photos accompagnées de textes transpirant l’émerveillement ; comme si, malgré leurs ailes elles n’étaient pas tout à fait redescendues de leur nuage.

Erwana Le Guen

Crédits Photos :

1) 24yes
2) New York Times
3) Heavy