La cravate de travers : nouveau symbole présidentiel ?

C’est aux côtés de l’actrice Jennifer Lawrence, du chanteur des One Direction Harry Styles et d’une des sœurs Kardashian Kendall Jenner que notre Président français, François Hollande, a été élu une des personnes les mieux habillées du monde en décembre dernier. À l’heure où la popularité présidentielle frôle les 22% (baromètre YouGov janvier 2016), retour sur l’importance de la sape dans l’appareil politique et la fonction présidentielle.

Les vêtements, c’est important. Et pas seulement pour les Carrie Bradshaw ou Kanye West, mais aussi dans le domaine politique. Après tout, le premier signe qui nous est donné à interpréter par un politicien vient de sa tenue, et François Hollande ne fait pas exception. « On s’en moque, diront certains ? Non car, le style vestimentaire sert la fonction, comme les attributs symboliques représentent l’Etat » rapporte Samir Hammal, maître de conférence à Science Po, dans L’Express. Aussi chacune des « folies » vestimentaires ou simples fashion faux-pas de François Hollande font-ils toujours l’objet d’un véhément acharnement médiatique, comme si tout prétexte était bon à prendre pour jeter la pierre à la figure présidentielle déjà bien mal-en-point. Rappelons-nous de la colère suscitée par son changement de lunettes au profit d’une marque danoise, ou encore des comparaisons toujours peu flatteuses faites entre le Président français et le Président américain Barack Obama. Plus encore que les coups de gueule, ce sont les railleries que semble attirer François Hollande. Comme pour tenter de coller à l’étiquette du « président normal », ses vêtements semblent parler d’eux-mêmes pour une désacralisation de la fonction, un style maladroit de Monsieur Tout-le-monde. On recense ses cravates de travers comme la véritable touche « à la Hollande » (par exemple sur le site François ta cravate !) ainsi que sa manche trop longue et ses pantalons mal taillés. Finis les costumes sur-mesure et les représentants tirés à quatre épingles comme avaient pu l’être Valérie Giscard D’Estaing et plus longtemps avant le Général de Gaulle. RTL parle ainsi d’une institutionnalisation de la cravate de travers : c’est à se demander si justement il s’agit de maladresses en série ou bien d’une volonté de créer un nouveau symbole, en opposition à sacralité du statut présidentiel.

Pour comprendre cette destitution du costume présidentiel, il faut revenir sur l’idée première de la communication de François Hollande : celle du « président normal ». Paradoxalement, M. Hollande n’aura jamais paru aussi normal qu’en dehors de sa campagne axée sur la « normalité » en 2012. Avant, encore simple Secrétaire de parti, on se souvient de « fraise des bois » (en référence à sa petite taille) dans des chemises larges et colorées. Aujourd’hui en place nous le retrouvons certes en costume, mais toujours avec un élément discursif qui vient rompre le sort de la perfection, entre cravate, pantalon, longueur de manche, teinture de cheveux et même averses diluviennes. Contre le diktat de la perfection présidentielle, la gaffe s’impose comme tendance : prenons l’exemple de son apparition en cravate lors de l’ouverture de saison en novembre dernier à l’Opéra Garnier, cérémonie pourtant réservée aux nœuds papillon. À l’inverse durant sa campagne, sa tenue avait dispensé un autre discours bien plus conformiste : régime draconien, costumes sobres et impeccables, François Hollande était à l’époque rentré visuellement dans le moule de ce qu’on attendait d’un président. Il avait enfilé le costume présidentiel, celui du pouvoir. Le couple d’historiens Dominique et François Gaulme, spécialistes des habits du pouvoir, ont ainsi montré que le costume constitue le pouvoir symbolique de toute figure d’autorité, du monarque au tyran en passant par le président. L’ère démocratique est selon eux celle de la standardisation de ce costume du pouvoir : la réduction sémantique du costume redonne un statut humain à la figure étatique. Qui eu cru qu’une cravate de travers pouvait aussi bien symboliser la démocratie et la perte de la sacralité du pouvoir ?

François Hollande, avant-gardiste de la mode en politique ? Nous n’irons peut-être pas jusque là, puisqu’on a pu remarquer ces dernières années une tendance des hommes (et des femmes !) politiques à sortir des cadres imposés implicitement par la fonction de représentativité. Cela ne va bien-sûr pas sans faire de bruit, comme le cas du premier Conseil des Ministres de Cécile Duflot en 2012, lors duquel elle avait osé tenter le jean. Nadine Morano avait ainsi commenté qu’il fallait « faire la différence entre la dilettante du week-end et la tenue du Conseil des ministres » puisqu’ils « représent[ent] tous les Français ». Oui mais voilà, la majorité des Français porte aujourd’hui le jean, ne serait-ce pas les représenter que d’en porter en Conseil des ministres ? La question du protocole vestimentaire reste un tabou politique, quiconque ose y toucher et s’en démarquer en ressent les effets, des Ray-Ban de Nicolas Sarkozy aux Crocs de Roselyne Bachelot. Derrière cette danse entre conformisme à un costume politique standardisé et tentative de personnalisation, c’est finalement l’enjeu d’un capital sympathie qui se dessine : il est certainement plus facile d’apprécier un président au look détendu comme Barack Obama ou JFK qu’une énième reproduction d’énarque perdue dans le décor de la politique française.