Proust avait une muse.

 

« La Mode retrouvée. Les robes trésors de la Comtesse Greffulhe »

Exposition Palais Galliera

 – Viens rêver –

 

Palais Galliera, 16e arrondissement.

Tu te demandes déjà comment tu pourras parler d’une expo à laquelle tu n’avais, de prime à bord, pas envie d’aller. Puis tu rencontres pour la première fois le Palais Galliera, berceau des expositions mode parisiennes.

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Le lieu conditionne l’exposition. Tu as compris au moment de la fouille vigipirate que tu pénétrais une faille temporelle. Tu l’ignorais encore mais ces tissus défraichis t’émouvront : ils ont été portés, ils ont été désirés et ils ont suscité le désir. Le fond d’air est romanesque, tu respires l’intimité d’une femme, en valsant de robe en robe guidé par un liant historique rare.

 

Qui es-tu comtesse ?

Loin d’un archétype, la comtesse se définit en nuances. Née Élisabeth de Caraman-Chimay, la comtesse enjamba deux siècles (1860-1952). Raison pour laquelle elle fut actrice essentielle de la Belle Epoque (1879-1914) et des Années folles 1920-1929). Elle connut le Second Empire, la IIIe et IVe République, et les deux guerres mondiales.

« Elle régna sur le gotha durant un demi-siècle. » affirme le commissaire d’exposition, Oliver Saillard.  Son succès s’éteint après à la première guerre mondiale, néanmoins elle continue d’inspirer les plus grands couturiers.

 

La muse

Des artistes

Les esquisses abstraites de Paul-César Helleu sont éminemment sensuelles, elles furent même interdites d’exposition par leurs contemporains. L’artiste lui dessine une taille fine irréaliste pourtant les corsages de ses robes donnent raison aux traits de fusain.

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La comtesse exerce la force d’une muse affranchie. Proust, qui se définit lui-même comme son « respectueux admirateur », écrit « Je n’ai jamais vu de femme aussi belle (…) il me semble que j’éprouvais plutôt à lui parler un trouble douloureux. ». Ainsi madame de Greffulhe aurait inspiré à Proust sa fameuse madame de Guermantes. Dans ton esprit tout fait sens.

Elle pose pour de nombreuses photographies d’Otto Wegener où ses robes sont mises en scène. Elle expose les clichés dans sa demeure afin de renforcer le culte de sa personne, mais elle en expédie certaines à ses amis proches, dont Proust.

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Des couturiers

« La femme qui donne la mode (…) s’occupe de la mode pour ne pas la suivre, l’ayant donnée. C’est elle qui en décrète les changements et qui tord les étoffes étonnées de leurs nouvelles formes. » dixit la comtesse.

C’est une posture ambitieuse qu’embrasse cette femme. Des corsages pudiques de la Belle Epoque, aux robes fluides des Années Folles, la Greffulhe cristallise un imaginaire.

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Tu observes également des raretés, inspirées d’Orient. Tu es surprise par leur actualité. Un manteau d’apparat dit « khalat » trône dans la première salle de l’exposition. C’est un cadeau de Nicolas II, tsar de la Russie Impériale, offert lors d’un voyage en France en 1896. La comtesse le porte en cape.

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Une salle recueille ses accessoires, des souliers fragiles intacts, et des éventails ovidiens.

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L’artiste

Peu à peu, tu comprends combien cette comtesse ne peut se définir uniquement dans les cadres basiques de la féminité. Sa vocation de muse est le symptôme d’un tourment plus puissant, ces robes ne sont que l’expression matérielle de sa singularité.

En effet, la dernière salle de l’exposition t’appelle en musique. Greffulhe affirme que le seul amour de sa vie demeura la musique.

Ses rôles d’épouse et de mère sont négligés au profit de l’art. Férue de musique, elle peint, pose, joue du piano, s’instruit, s’engage politiquement. Son dessin est celui des plus grands : l’immortalité.

 

A posteriori

Tu ressors un peu honteuse, comment as-tu pu ne pas t’y attendre ? Comment as-tu pu autant te méprendre sur les aspirations de ce personnage ? La mode n’est que l’outil essentiel à la construction d’un personnage immortel, et déjà Greffulhe le savait.

L’odieux narcissisme de la comtesse demeure le terreau de son audace, que désormais tu salueras éternellement.

 

Carla Humbert

Crédits images :

http://bit.ly/1SVZpwP

http://bit.ly/1QNSKi7

http://bit.ly/1SEcM4m

http://bit.ly/1PKxvQi

http://bit.ly/1TueUMa

http://bit.ly/1KZ79eu

Commentaires

  1. Bravo ! Vous avez tout compris ! Peut-être connaissez-vous déjà la passionnante biographie de cette comtesse aux multiples facettes : « La comtesse Greffulhe – L’ombre des Guermantes » , de Laure Hillerin (Flammarion, 24 €) ?. Si ce n’est pas le cas, je vous la conseille, ainsi qu’aux lecteurs de votre blog : tout en se laissant dévorer comme un roman, elle vous apprend une foule de choses sur Elisabeth Greffulhe, la Belle Epoque, Marcel Proust… Remarquablement documentée dans les archives inédites de la comtesse, et très bien illustrée par de nombreux portraits, documents et photos, elle confirmera ce que vous expliquez dans votre excellent article. Hélas, elle n’est pas en vente au Musée Galliera ; mais on la trouve dans toutes les bonnes librairies.
    Pour en savoir plus sur ce livre (critique, actualités, etc.) :
    http://www.comtessegreffulhe.fr

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