Ne regardez plus la mode, lisez-la!

« L’homme qui ne voit que la mode dans la mode est un sot. La vie élégante n’exclut ni la pensée, ni la science; elle les consacre. Elle ne doit pas apprendre seulement à jouir du temps, mais à l’employer dans un ordre d’idées extrêmement élevée »
Balzac, Traité de la vie élégante.

La mode futile? Enlevez le F et vous aurez votre réponse. De Properce à Proust, la mode, et plus particulièrement le vêtement féminin, ont traversé des siècles de littérature. Baudelaire en a fait le miroir de la femme, Balzac un outil de sociologie. Tous ont décrit avec passion les ornements d’un art fort de ses fulgurances. Lettre après lettre, la littérature s’est emparée de la mode pour l’orienter, la façonner ou la faire renaître. Mais la mode sournoise et ingénieuse ne se laisse pas faire. Et si la mode faisait sa propre littérature? Ne prenez pas la mode pour une sotte!

La Mode ou le goût du bon mot!

 

Souvenez-vous des pulls et t-shirts à texte so 2015 que l’on portait comme un credo. Depuis plusieurs saisons la mode nous propose des imprimés qui parlent, qui parlent avec de vrais mots. Cette année encore la mode nous fait parler, et nous fait dire ce qu’elle veut. Avouez-le, vous en rêvez de ce sweat qui affiche au grand jour votre amour de la raclette. Humour, déclaration, réflexion, la mode fait rire tout autant que réfléchir. Tout le petit cercle mondain de la mode se met à parler, bavardages que Loïc Prigent a rassemblé sur son compte Twitter, puis aujourd’hui au sein d’un livre. Le parler pour ne rien dire devient  objet de littérature, et cherche à faire sens. Les laboratoires de création deviennent des cabinets de paroles, où l’on transmet un message, souvenez-vous du défilé Chanel tournant à la manifestation féministe. Dans la lignée du « mannequin qui parle » des années 80, Cara Delevingne et ses copines avaient un message fort à faire passer, et l’affichaient comme un ornement supplémentaire à leur parure grand luxe. Ces pancartes, aux allures d’accessoires de mode, clamaient « Ladies first » « History is her story » ou encore «Free freedom ». La mode ne sera plus muette, et restera un art de parole.

 

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La mode, un art riche et non de riches? Elle serait alors un art riche de sens et de culture, comme le montre l’exposition « Culture Chanel, la femme qui lit » qui se tient à Venise jusqu’au mois de janvier. Les ateliers de création se sont ainsi métamorphosés en salons littéraires. En effet, Gabrielle Chanel avait fait du livre son meilleur ami, au même titre que Karl Lagerfeld qui possède à lui seul plus de 300 000 livres et détient sa propre librairie, la Librairie 7L. Yves Saint Laurent, quant à lui, ornait ses créations d’extraits de poésie, et Sonia Rykiel construisait au sein de ses magasins de véritables bibliothèques, sans oublier la célèbre minaudière en forme de livre d’Olympia Le-Tan. Pourquoi faire entrer les consommateurs dans cet univers littéraire? Outre une source inépuisable d’inspiration, livre et littérature sont avant tout le moyen pour ses créateurs d’injecter du sens dans leur travail, leurs créations, leur marque.

Signer la mode comme on signe un roman!

Loin est le temps où l’on pensait, peut-être à tort, que la société faisait la mode, la mode ferait elle-même la société. Mode et Littérature apparaissent comme deux arts en osmose, deux miroirs de la société qui pointent du doigt ce que l’on n’oserait voir. Balzac avait-il raison en imaginant la mode comme un outil sociologique? L’actuelle exposition « Tenue correcte exigée » au Musée des Arts Décoratifs insiste sur cette idée selon laquelle la mode fait son époque. Tout auteur s’amuse à créer une certaine image de la société, la mode ne se contente pas d’en donner une idée, elle impose la sienne.

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Tout comme le livre, la mode serait alors un outil de propagande. Liberty, carreaux, rayures ne lui suffisent plus, il lui faut les mots. Montrer par transparence un sein ne lui suffit plus, il faut dire pourquoi elle le fait. Ainsi, Maria Grazia Chiuri a mis en route la « révolution Dior », où ses modèles habituels de transparence et de volupté, côtoyaient lors du dernier défilé des modèles sans strass ni paillettes mais avec des mots: « We should all be feminist ». Comme un auteur de roman engagé, la mode veut changer le monde.

Cette omniprésence des mots traduit un retour de certaines valeurs. La mode semble avoir une mission, celle de ramener les gens à la littérature. À ce titre, de nombreuses marques ont vu le jour comme « Proêmes  de Paris » néologisme qui illustre la fusion de « poème » et « prose », ou encore la marque « Balzac Paris ». Marion Gauban-Cammas et Ulysse Meridjen, les créateurs de « Proêmes de Paris » veulent rappeler l’importance des mots dans une société saturée par l’image. Leur slogan, mariage d’hier et d’aujourd’hui, est clairement un appel à la lecture: « #lesfillesquilisentsontlesplussexy ». L’utilisation du hashtag ancre la marque dans son époque, et cette référence à la lecture l’agrémente d’une parure historique.

 

La littérature: l’atout charme de la mode!

Les mots et la littérature semblent donc utiles à la mode pour raconter la société, la façonner, mais à travers eux, la mode arrive surtout à SE raconter. En effet, la littérature est devenue un véritable outil marketing, permettant aux marques de donner du sens à leur discours, l’orner d’une dose de crédibilité. À l’ère de l’explosion digitale, la mode et plus particulièrement le luxe a besoin de prendre son temps, cette omniprésence du livre est un moyen d’arrêter le temps, tout en faisant référence à un accomplissement personnel. Les bibliothèques qui couvrent les murs des magasins Sonia Rykiel invitent les clientes à prendre leur temps, à se familiariser avec le décor, donnant le sentiment d’être dans un lieu remplis de savoirs, de calme et de sérénité.
La littérature servirait alors à écrire un roman de marque. Le livre devient un objet directement associé au luxe comme le montre la Maison Martin Margiela en publiant un livre en 2010 fait par Martin Margiela lui-même, mais ce livre est surtout un moyen de donner une identité à la marque, de se raconter. Plus récemment, la marque Tila March a laissé libre court à l’imagination de Colombe Schneck pour écrire dix nouvelles à propos des quartiers parisiens favoris de la créatrice Tamara Taichman. Ces dix nouvelles serviront alors de supports de communication à l’occasion des dix ans de la marque. Ainsi, le cabas Zeilig, pièce phare de la maison, est associé à un quartier et raconte une histoire.

Utiliser la littérature c’est faire un « copier-coller » de ses valeurs, et se créer à travers elles un imaginaire singulier. Atout marketing majeur, la littérature par le livre, objet éternel, donne aux marques de mode une certaine longévité quand le digital leur offre l’éphémère. Quand certaines préfèrent l’effervescence du « See now buy now », d’autres se cachent derrière les charmes de la culture et du savoir pour mieux exister. Alors ne regardez plus la mode, lisez entre ses lignes, écoutez ce qu’elle a à vous dire! Vous ne rêvez pas, la mode vous parle!

Lucie ALEXANDRE


Sources:

https://www.proemesdeparis.com

http://tilamarch.com

http://www.grazia.fr/article/lettres-et-le-paraitre-quand-la-mode-et-la-litterature-ne-font-qu-un-835905

https://www.fiona-schmidt.fr/2015/09/14/pour-ou-contre-la-litterature-a-porter/


Crédit photos: 

AFP / Twitter Loïc Prigent

Dior printemps-été 2017, à Paris… © FRANCOIS GUILLOT / AFP

Proemes de Paris / Balzac Paris

 

 

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