L’apanage du parfum

Le 22 décembre dernier, Le Grand Musée du Parfum ouvrait ses portes au cœur de Paris, au numéro 73 de la rue du Faubourg Saint-Honoré. Flairant la bonne adresse, La Commode est allée lui rendre visite. Loin des ressorts commerciaux du marketing, le musée propose une redécouverte des multiples facettes que le parfum a offertes et continue d’offrir au fil du temps ; l’occasion de rendre à la fragrance ses lettres de noblesse.

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Un atout de séduction

A peine entrées au sein du Grand Musée du Parfum, la galerie des séducteurs nous attend. Elle en dit long sur le lien ancestral qu’entretiennent élixirs parfumés et attraction.
Tes parfums ont une odeur suave ; ton nom est un parfum qui se répand’, tel est le chant de Salomon pour la Reine de Saba dans le Cantique des cantiques (1:3). Il ne sera d’ailleurs pas le seul à se laisser charmer par de tentatrices fragrances. De la même manière, Marie-Antoinette envoûtera ses contemporains grâce à un savant mélange de rose, iris, lys, vanille, bois et benjoin, lorsque Cléopâtre et son amant Marc-Antoine se charment par parfums interposés. Ils s’enduisent le corps de fragrances que l’on dit réservées aux dieux et pharaons. Les grands séducteurs de ce monde en témoignent, donc: séduction et parfum flirtent dangereusement ensemble. Ainsi, que serait un boudoir libertin, symbole de toutes les tentations et séductions, sans une délicieuse et coquette odeur de poudre de riz ? Et que resterait-il de Brigitte Bardot sans son ‘essence de Guerlain dans les cheveux’ ? Car c’est bien grâce à Chamade qu’elle fera battre le cœur de ce cher Serge !

P comme Panacée

De l’Antiquité à l’époque moderne, le parfum a connu de nombreuses mutations et offert de multiples usages. Employé en premier lieu pour embaumer et momifier les morts, brûler sur les autels sacrés destinés aux dieux de l’Egypte ancienne, il n’est pas pour autant délaissé par les vivants. Tous lui reconnaissent ses vertus thérapeutiques et aphrodisiaques. Ainsi, le Kyphi égyptien deviendra véritable panacée, successivement adopté par les civilisations grecque et romaine. Plus tard, la peste et le Vinaigre des Quatre Voleurs démontreront les vertus curatives et protectrices du parfum. Myrrhe, lavande et romarin sont autant de matières premières antiseptiques. De même, on l’associera à l’hygiène, comme moyen de masquer la puanteur des corps. Enfin, du Moyen-Age à la Renaissance, il s’asperge autant qu’il se boit ; si bien que Napoléon aurait pris pour rituel de boire quelques gouttes d’Eau de Cologne, apparue en 1695, avant de mener bataille.

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Le parfum comme marqueur de distinction sociale

Symbole d’apparat éminemment apprécié au XVIIIe siècle, le parfum devient marqueur de distinction sociale. La cour s’arrache les senteurs les plus rares. Elle les emporte avec elle dans des petits flacons accrochés à sa ceinture, à l’instar des pomanders, également portés en pendentifs ou au doigt par l’aristocratie et les classes aisées. Les grands d’Italie, d’Angleterre et de France s’entourent de parfumeurs renommés. Louis XIV sera de fait surnommé ‘le roi le plus doux fleurant’. La cour de Versailles, sous Louis XV, deviendra ‘La Cour parfumée’, en raison de l’étiquette qui impose de porter un parfum différent chaque jour. On comprendra alors aisément pourquoi le parfum distingue et dissocie les classes sociales : tout le monde ne peut pas s’offrir le luxe de changer de fragrance quotidiennement. En outre, les prix de l’oud, des essences rares et autres absolues sont souvent élevés.

Parfum et couture : quand le parfum habille

A partir de 1920, certaines maisons de couture créent leurs propres parfums, véritables emblèmes de marques. Paul Poiret sera l’un des précurseurs en la matière. C’est à lui que nous devons ces mots, si poétiques et caractéristiques de sa vision du parfum : ‘Cette robe vous va à merveille, mais une larme de mon parfum sur l’ourlet et elle vous ira à ravir.’ A la manière du plus beau des écrins, le parfum sublime. Le jus et le flacon sont créés comme de véritables œuvres d’art. L’entreprise est sérieuse et, pour développer des jus de qualité, des couples parfumeur-maison de couture se créent, en témoigne l’alliance d’Edmond Roudnitska et Dior.
Toutefois, si le mariage couture et parfum a donné naissance à de véritables chefs d’œuvre devenus des intemporels de la parfumerie tels N°5 ou Diorissimo, il n’en est pas toujours de même pour l’alliance cousine parfum-mode. En effet, l’industrie du parfum peut s’avérer être une affaire juteuse : elle finance la création et la tentation de vendre toujours plus est forte. C’est alors que le marketing s’en mêle et l’on court le risque que le parfum, loin d’une œuvre d’art, devienne un vulgaire support de marque. On cherche à plaire au plus grand nombre et, pour ce faire, on va privilégier des odeurs qu’il connaît : gourmandes et ultra sucrées. La tendance actuelle est donc au  ‘parfum bonbon’, et ils s’écoulent comme des petits pains. Cela explique pourquoi, actuellement, la parfumerie de masse est si peu encline à innover. En réaction à ce phénomène, une parfumerie de niche s’est créée. Elle propose des jus plus créatifs, expérimentaux mais aussi plus luxueux et se donne pour mission d’éduquer le consommateur.

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Révélateur de personnalité et intimité

Véritable rencontre entre notre cerveau rationnel et nos prétentions sentimentales, toute odeur s’accompagne d’un souvenir, d’une émotion. Ainsi, on choisit fréquemment un parfum pour ce qu’il nous évoque, pour ce qu’il va dévoiler et exprimer de notre caractère. A ce propos, Mathilde Laurent, parfumeur chez Cartier depuis 2006 – après avoir fait ses armes durant 11 ans chez Guerlain -, souligne l’importance du choix du parfum et de son utilisation. En effet, étant révélateur d’une personnalité et d’une certaine intimité, il semble impératif qu’il reste un moment de bonheur. D’ailleurs, Jean-Claude Ellena, nez d’Hermès, déclare qu’il met du sourire dans ses compositions. De fait, ne pas hésiter à ne pas se parfumer tous les jours ; ne pas en faire une habitude, afin que l’on ait toujours plaisir à retrouver cette odeur si particulière et minutieusement choisie. En découle la manière que chacun a de se parfumer : quelques larmes aux creux des oreilles et poignets, vaporisation d’un nuage capiteux, aspersion de la poitrine ou du linge. ‘Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ?’ disait Musset dans La Coupe et les lèvres en 1830.

En définitive, le Grand Musée du Parfum propose une authentique (ré)éducation à cet art à part entière qu’on a parfois tendance à réduire à un flacon de plus acheté dans la célèbre parfumerie noire et blanche. Le parfum colle à la peau, c’est une affaire éminemment personnelle, identitaire, tout comme la quête d’un style vestimentaire. Et, si, pour Jean-Claude Ellena, un Shalimar, comme tout grand parfum, est hors du temps et de ce fait ne peut être un produit de mode, on se rappellera Coco Chanel déclamant ‘La mode se démode, le style, jamais.’ En parfum, comme en vêtements donc, tout est une affaire de style.

Hélène Yvert et Audrey Cox


Sources:

http://www.challenges.fr/entreprise/les-parfums-de-niche-ont-sauve-le-marche-selon-l-oreal_22914
Conférence de Jean-Claude Ellena à l’Institut Français de la Mode


Crédit photo:

Isabelle  Chapuis & Alex Pichot pour Le Grand Musée du Parfum

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