La question du genre : quand la mode s’en mêle

En mars dernier, un article paru dans le Times, Beyond He or She, nous rapportait les résultats d’une récente étude sur la perception du genre et de la sexualité chez les jeunes entre 17 et 37 ans (autrement dit les fameux millenials).  Menée par l’agence Harris Poll, l’enquête a permis de dresser le portrait d’une génération complètement libérée de la vision binaire du genre, abolissant totalement les frontières entre féminin et masculin . La mode, véritable reflet de notre société, suit alors cette tendance et propose de plus en plus de collections « non-Genrées ».

La mode et le genre: une longue histoire

Remontons à des temps pas si lointains, quand le vêtement servait la cause de ce bon vieux modèle de représentation où les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus.

Pour reprendre les mots de Erving Goffman « Dans toutes les sociétés, le classement initial selon le sexe est au commencement d’un processus durable de triage, par lequel les membres des deux classes sont soumis à une socialisation différentielle. » Historiquement donc, notre société, par des croyances et des pratiques sociales, a instauré une représentation binaire du genre. Un système qui nous oblige, d’une part, à se définir soit en tant que fille soit en tant que garçon et, d’autre part, à s’approprier les codes propres à ces étiquettes.

Influencée par cette forte dualité, la mode s’est elle aussi divisée en deux. Elle a contribué à véhiculer des représentations qui ont influencé notre vision du genre. Par exemple, ce n’est que dans les années 70 que le port du pantalon chez les femmes a totalement été accepté. Si cela a mis autant de temps, c’est parce que le pantalon ne collait pas avec l’image de la femme habituée aux robes étouffantes agrémentées de corsets et de dentelles.

Cependant la mode aime surprendre et aller à l’encontre des conventions. Les créateurs se sont depuis longtemps amusés à jeter un voile trouble sur les codes vestimentaires masculins et féminins. Coco Chanel et ses coupes garçonnes, le tailleur d’Yves Saint-Laurent… Par petites touches, les représentations étriquées du genre se sont effondrées, jusqu’à l’avènement d’une nouvelle silhouette, celle de l’androgyne.

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L’androgyne dans la mode : de l’extravagance au naturel

Le changement s’est d’abord fait de façon explosive mais marginale. Des hommes surmaquillés, des femmes en uniformes rigides : les créateurs ont semé la confusion et chamboulé notre conception du vêtement genré. Il n’y a qu’à voir les réactions des journalistes quand Jean-Paul Gaultier présente, en 1985, sa jupe pour homme.  Une patte « spéciale », de la « provocation » pour la journaliste mode Ghislaine  Ottenheimer et  même une « mode grand-guignolesque » dans un JT de l’époque.

Les icônes pop ont elles aussi souvent associé habits féminins et masculins, et mis sur le devant de la scène l’androgynie. Néanmoins, de part leur statut de célébrité et à cause d’une certaine théâtralité, cela apparaissait là encore, aux yeux du public, comme une excentricité.

Mode et Pop culture ont, à l’aube des années 2000, repris les codes du mythe de l’androgyne, présenté par Platon dans Le Banquet*. Celui qui fascine autant qu’il questionne, l’être qui transgresse l’ordre divin dans la mythologie, et les barrières du genre dans la mode. Sans établir une véritable perméabilité entre mode féminine et masculine, le recours à cet archétype a marqué les prémices d’un mouvement visant à annihiler cette différentiation. Ce mouvement c’est le No Gender. Dans la mode non genrée, la figure de l’androgyne reste une source d’inspiration majeure mais elle se fait moins extravagante. Les millenials qui ont grandi avec cette conception de la mode et du genre, l’ont complètement assimilée. Ils se revendiquent d’ailleurs « gender fluids » et achèvent d’abolir les frontières entre le féminin et le masculin.

«  la fluidité des envies dans la garde-robe est devenue suffisamment forte pour créer un marché destiné aux nouvelles générations, pour qui se définir comme fille ou garçon n’est plus le problème. On peut s’habiller en femme et rester masculin, et inversement. […] La mode sans genre n’est que le reflet de l’époque ». Pierre-François Le Louët, président de l’agence de prospective NellyRodi et de la Fédération française du prêt-à-porter féminin.

On ne s’adresse plus à un sexe, mais à une individualité. Les collections mixtes ou uni-sexes n’ont plus rien du surprenant mélange des genres des années 80-90. Elles revendiquent un naturel, une simplicité. Par exemple, lorsque Jaden Smith, égérie de Louis Vuitton, s’affiche en robe ou en jupe, ce n’est plus un vêtement féminin qu’il porte, juste une pièce dont la coupe et la matière lui plaisent, et correspondant à sa personnalité.  Les codes, les débats sur le genre sont rejetés pour laisser place à une véritable liberté. Le vêtement se veut définitivement neutre, unique sans revendication ni provocation derrière. Comme le fait remarquer très justement Patrick Mauriès (auteur de Androgyne: Une image de mode et sa mémoire) : « Aujourd’hui, l’androgynie moderne, telle qu’on la découvre dans l’univers de la mode, mais aussi, plus simplement, dans les rues de Londres ou de New York, est devenue profondément naturaliste. La nouveauté est là. Ces jeunes gens ne mettent plus de maquillage et ne s’habillent plus de façon excentrique : ils sont tels qu’ils sont, homme et femme, et refusent de rentrer dans l’une de ces deux catégories. »

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La mode aurait-elle mis définitivement fin aux stricts représentations du genre féminin et masculin ?  Dans les faits, le no-gender n’est pas si établie que ça. Tout d’abord, on peut dire que cette mode est plus accessible aux femmes. Si ces dernières s’emparent depuis longtemps des pièces jugées masculines, l’inverse est plus rare. Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Louis Vuitton, explique que l’homme serait en train de vivre sa propre révolution. « Il semble aussi évident pour [les hommes] de porter une jupe aujourd’hui, que pour les femmes d’avoir pu s’octroyer, il y a bien longtemps déjà, le droit de porter un trench ou un smoking.  »  Il faudra encore quelque temps pour qu’une mode unisexe absolue s’installe dans la rue. Si on prend l’exemple de la jupe par exemple, elle est beaucoup trop ancrée dans notre représentation collective comme un habit féminin. Pour s’installer durablement, cette mouvance devra passer par des collections enfants non-genrées. Même si des marques comme Hema ont déjà créé des collections enfants mixtes, les vêtements des plus petits restent encore marqués par les stéréotypes de genre (et parfois encore plus que les collections adultes) : rose, froufrous et princesse Disney pour les filles; super-héro, couleurs unies et sombres pour les garçons.

Même si on ne peut nier l’aubaine commerciale qu’elle constitue, la mixité dans la mode a le mérite de faire avancer le débat sur le genre. Elle nous montre qu’on ne peut définir le féminin et le masculin par un bout de tissu, du maquillage ou une coiffure…

Lou Denamur


Sources:

*Interview de Patrick Mauriès auteur de Androgyne: Une image de mode et sa mémoire : https://www.lexpress.fr/tendances/mode-homme/l-androgyne-est-il-l-avenir-de-l-homme_1953849.html

*http://profondeurdechamps.com/2013/02/16/liberer-les-genres-la-mode-et-landrogynie

*Masculin / Féminin : un vêtement, deux genres, par Françoise Carré

*http://www.lemonde.fr/m-mode/article/2016/03/29/vetements-bon-chic-sans-genre_4891790_4497335.html#AodM5z6Sv2DiwSET.99

*http://www.20minutes.fr/mode/1942243-20161014-gender-fluid-si-assistait-fin-genres-masculin-feminin

*http://www.leparisien.fr/societe/vetements-pour-enfants-la-tyrannie-du-rose-et-du-bleu-10-04-2017-6840405.php

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