QUAND LA MODE REPREND DU POIL DE LA BÊTE

Alors que le groupe mondialement connu H&M prend le pari de la diversité en sélectionnant des mannequins « normaux » pour la dernière campagne de sa marque & Other Stories, un modèle en particulier retient l’attention du public : Il s’agit d’une femme arborant fièrement ses poils d’aisselles, et dont la pose reste sensuelle à souhait. On en conviendra aisément, la question de la pilosité reste quelque peu épineuse aujourd’hui, et si l’on creuse un peu le sujet on se rendra rapidement compte que le poil a depuis longtemps fait l’objet d’un tabou dans les sociétés occidentales. Choix militant féministe ou tout simplement mauvais goût ? Zoom sur une tendance qui fait débat.

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Au premier abord, le fait de s’épiler ou non s’apparente en toute légitimité à un choix d’ordre personnel. C’est pourtant bien tout le contraire qui se produit, et on observe que ce qui relèverait en toute logique de la sphère privée devient le lieu d’un débat dans le domaine public. En effet on se souvient des aisselles non épilées de Julia Roberts, l’une des actrices les plus adulées d’Hollywood, lors de la première de son film ‘’Coup de foudre à Notting Hill’’ en 1999, ou plus récemment de celles de Lola Kirke aux Golden Globes en janvier dernier. Cet acte, jugé subversif et en décalage avec l’étiquette glamour propre au tapis rouge, avait déchainé les foules sur les réseaux sociaux, et provoqué la fureur de certains qui allèrent jusqu’à envoyer des menaces de mort à l’actrice britannique.

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Loin d’être la seule, Lola Kirke emboîte le pas à une ribambelle d’autres stars et personnalités en tout genre : de Madonna à Alicia Keys, en passant par Miley Cyrus, en s’exposant ainsi au public, ces femmes semblent dire stop aux diktats esthétiques occidentaux, et par ce geste en apparence inoffensif montrent leur volonté de s’affranchir des normes en vigueur. Ainsi, à l’ère de la Women’s March, il est souvent reçu comme une déclaration de militantisme féministe, ou taxé de coup de gueule anticapitaliste, que les principales intéressées en soient conscientes ou non. C’est le cas du mannequin suédois Arvida Byström, récemment choisie par la marque Adidas pour sa nouvelle campagne Originals Superstar. Dans ce spot publicitaire, la photographe scandinave apparaît face caméra, ses jambes velues exposées au premier plan, et nous livre ainsi sa vision personnelle de ce qu’est la féminité, en nous rappelant à juste titre que celle-ci (ou du moins l’idée qu’on s’en fait), relève avant tout d’une construction sociale. Chacune d’entre nous est libre d’adopter sa propre version de la féminité, et c’est justement ça, nous dit-elle, qui fait peur aujourd’hui. Encore une fois, l’artiste qui osa se dévoiler au naturel eût droit à bon nombre d’injures et menaces en tout genre…

Pourquoi tant de haine face au choix du naturel ?

Si le choix qu’ont fait & Other Stories et Adidas marque un tournant intéressant dans la représentation du corps des femmes dans la publicité, ce choix n’en reste pas moins une stratégie commerciale et communicationnelle de la part des enseignes qui surfent sur la tendance de l’inclusion et de la diversité.

Mais minute papillon ! Il nous reste encore bien du chemin à parcourir sur la route de l’acceptation de soi… On l’aura remarqué, les marques sont omniprésentes dans notre quotidien et ont de fait une réelle influence sur nos perceptions. Malheureusement pour nous, les exemples évoqués précédemment font office d’exceptions (qui confirment la règle ?) et c’est majoritairement et depuis fort longtemps un dégoût profond des poils qui est construit et cultivé par la publicité : « Les marques construisent une honte du poil, et vous font comprendre que si vous n’êtes pas épilée, vous allez finir toute seule » explique Elisabeth Tissier Desbordes, professeure de marketing à l’ESCP Europe. Ce que la plupart d’entre nous ignore, c’est que le marché global de l’épilation (féminine uniquement) représente une somme qui s’élève à plus de 163 millions d’euros par an… Une broutille ! Il est donc dans l’intérêt des marques de l’industrie cosmétique de stimuler ce culte du glabre en ayant recours à ce qu’on peut appeler le « marketing de la honte ». On se souvient toutes des publicités Vénus Divine (la marque de rasoirs féminins du groupe Gillette) où de superbes femmes au corps de rêve rasent leurs jambes déjà parfaitement imberbes dans l’eau turquoise d’une plage exotique… De quoi toutes nous convertir. Tout d’abord, nous noterons que le choix que fait la marque de prendre le nom de « Venus » n’est pas innocent : également nommée Aphrodite par les Romains, Vénus est chez les Grecs la déesse de la séduction, de l’amour et de la beauté féminine.

Ainsi, les choix marketings de la marque, allant de son nom jusqu’aux modèles, nous renvoient un message d’ordre symbolique qui pénètre notre inconscient et se traduit par l’association d’idées qui nous semble « évidente », « logique », qu’une femme séduisante est une femme sans poil.

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Vénus est loin d’être la seule et on retrouve le même schéma chez toutes ses concurrentes (que ce soit des marques de rasoirs, de cires ou de crèmes d’épilatoire) qui représentent elles aussi soit des corps déjà lisses, soit qui jouent sur l’humour en simulant des situations gênantes provoquées justement par la présence de poils disgracieux. C’est donc bien un sentiment de honte et/ou de révulsion que nous avons toutes intériorisées depuis des années. Et la gente masculine n’est pas en reste puisqu’elle commence elle aussi depuis peu à développer cette obsession de l’épilation, en témoignent les centres esthétiques entièrement dédiés aux hommes qui se multiplient.

De l’image du corps au corps de l’image

L’on remarquera que depuis les sculptures de la Grèce antique, les poils sont très peu présents voire même totalement absents dans les représentations du corps féminin dans l’art occidental. Car c’est dans le monde antique que naît l’idée qu’une pilosité excessive est signe de bestialité ou d’un dérèglement comportemental, un état extérieur qui serait le reflet d’un état intérieur déviant, donc. Au Moyen-Âge la nudité des corps n’est que très rarement représentée, et pour cause, la chair est alors perçue comme la source des malheurs de l’humanité. C’est à la Renaissance que la représentation du corps nu féminin atteint son apogée, mais qu’elle soit consciente de son pouvoir de séduction ou bien offerte, la femme reste encore et toujours imberbe, et son sexe est le plus souvent dissimulé d’une main, comme par pudeur.

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En 1866 c’est Courbet qui, le premier, osa braver le tabou des poils pubiens et de la représentation naturaliste du sexe féminin avec sa toile L’Origine du Monde, œuvre qu’il réalisa pour une collection privée et qui ne sera donc dévoilée au public que très tardivement en 1994.

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Au XXème siècle, peu d’artistes (se revendiquant pourtant provocants et disruptifs) se risquent sur ce terrain, car les rares représentations de pilosité pubienne suscitent toujours des scandales : Prenons l’exemple des nus de Modigliani qui firent fermer la galerie Berthe Weill en 1917 pour « atteinte aux bonnes mœurs ». Ainsi si les artistes choisissent de ne pas représenter la pilosité sur les corps féminins c’est parce qu’elle renvoie toujours à l’animalité tapie dans l’être humain : nature contre culture ou domination symbolique ?

La psychologue clinicienne Sara Piazza, chargée des enseignements sur la psychanalytique à Paris VII va encore plus loin et tente d’expliquer ce fait de société en remontant jusqu’à la source du problème, qui selon elle trouve son origine dans la mythologie : Pour les hommes « on a le mythe de Samson, où dès qu’il se fait raser la tête par Dalila, il perd toute virilité », alors que pour les femmes « on a celui de Méduse, cette gorgone dont les cheveux ont été changés en serpents. On peut imaginer que la tête de Méduse représente le vagin féminin, ses cheveux les poils pubiens. Ce qui est intéressant, c’est qu’à chaque fois qu’un homme croise son regard, il est transformé en statue de pierre. Cela illustre bien le tabou. ». Mais la chercheuse évoque un autre tabou, de nature sexuelle cette fois, auquel serait lié ce combat mené contre la pilosité chez les femmes : « Les poils nous dégoûtent parce qu’ils représentent la sexualité féminine dans ce qu’elle a d’incontrôlé et donc de dangereux. L’épilation, c’est un moyen de la domestiquer ». On pourrait donc aussi le voir comme une forme de domination symbolique, de répression sur la sexualité féminine : car le poil est signe de maturité sexuelle.

Paradoxalement, l’industrie de la pornographie qui se veut transgressive (ou qui, du moins, est perçue comme telle) est celle où l’on retrouve le plus cette « domestication » de la pilosité : en effet, pour des raisons purement pratiques, les actrices et les acteurs doivent le plus souvent être parfaitement épilés car le poil représente un obstacle physique entre les sexes et la caméra. Ainsi, il est intéressant de voir comment une contrainte liée aux moyens techniques de production est à l’origine d’une tendance d’épilation intime qui touche jusqu’aux adolescentes pré-pubères depuis le début des années 2000.
Cette norme sociale du lisse et du glabre est sans aucun doute celle qui a le plus pénétré notre intimité. Plusieurs points de vues, d’une extrême à l’autre s’affrontent et se croisent sur le sujet : Domination symbolique de l’homme sur la femme, nouvelle forme d’exercice d’un féminisme engagé, animalité originelle tapie en nous, ou encore énième forme de manipulation du système capitaliste, La question de la pilosité est complexe. Cependant, il ne faut pas oublier qu’elle relève avant tout d’un choix personnel ne regardant que nous, et présente un avantage non négligeable : quel que soit le parti pris, on peut toujours changer d’avis car le poil est, à l’image de la nature, un éternel recommencement.

Marion Bieysse


Sources:

à http://www.lesinrocks.com/2017/10/02/style/qui-est-arvida-bystrom-mannequin-aux-jambes-poilues-embauchee-par-adidas-11992347/

à http://www.purepeople.com/article/golden-globes-lola-kirke-ose-les-aisselles-non-epilees-sur-tapis-rouge_a217631/1#m2961176

à http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/01/22/le-poil-qui-nous-depasse_5066867_4497916.html

à https://www.society-magazine.fr/dans-le-sens-du-poil/

à filsantejeunes.com/le-sexe-feminin-dans-lart-et-la-culture-6584

à http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2016/08/12/la-guerre-du-poil-est-declaree_4981971_4497916.html

à http://www.fauteusesdetrouble.fr/2011/02/le-poil-dans-lart-occidental-desir-ou-animalite/

 

 

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