17 novembre 2017, Azzedine Alaïa dégringole des escaliers en faisant un “bouh”. Suite à cette mauvaise chute, il ne se relèvera pas. C’est la stupeur et l’incompréhension dans le monde la mode. Mais qui était Azzedine Alaïa, le couturier qui sublimait les femmes?
Azzedine Alaïa, tunisien de naissance, parisien d’adoption
Depuis son plus jeune âge, il voue un culte aux femmes. Fasciné par leurs corps, il les analyse, les observe. Depuis toujours, il souhaite créer des vêtements qui épouseraient au mieux leurs courbes. Ses études de sculpture à l’École des Beaux-Arts de Tunis sont pour lui une véritable révélation: sa relation au corps humain en sera changée à jamais. Azzedine Alaïa sculptera des mouvements, des voix. Il dit : « J’aurais aimé être balayeur à Versailles dans la galerie des Glaces pour regarder les femmes passer dans leurs robes ».
Son diplôme en poche, le jeune créateur fait ses premiers pas dans la mode en tant que couturier, puis décide d’élire domicile à Paris en 1957 où il est hébergé par la Comtesse de Bleigiers. Elle lui commande des robes en échange d’une chambre, et lui présente les riches Parisiennes les plus influentes de l’époque. Il commence alors sa carrière en tant que tailleur chez Christian Dior (il y restera cinq jours seulement) avant de rejoindre très rapidement la maison Guy Laroche puis, quelques années plus tard, participe à la confection des modèles de Thierry Mugler.
Azzedine Alaïa ouvre son premier atelier dans son appartement de la rue de Bellechasse à la fin des années 1970 où naissent les créations destinées à ses clientes privées, parmi lesquelles Marie-Hélène de Rothschild, Simone Zehrfuss, Louise de Vilmorin, Bettina Graziani, Arletty et Greta Garbo.
En 1980, le couturier dévoile sa première collection de prêt-à-porter. C’est la même année que le créateur choisit un atelier plus spacieux, rue du Parc Royal à Paris, où l’expression « body consciousness » ou « conscience du corps » prend tout son sens. Celui que l’Amérique surnommait le “French Genius”, ne parle pas anglais mais se débrouille dans toutes les langues.
Ainsi, les années 1980 marquent la rencontre explosive de la haute couture et de la culture. Les chanteuses Tina Turner et Grace Jones comptent parmi les meilleures amies et ambassadrices du couturier. En 1985, Azzedine Alaïa se voit décerner deux Oscars de la mode par le ministère de la Culture et présente son premier défilé en son nom parmi les sculptures de Dan Flavin exposées au musée CAPC de Bordeaux.
En 1988, le défilé Alaïa au Palladium de New York révolutionne le monde de la mode, avec l’apparition d’une nouvelle génération de mannequins, les « supermodels » : Stephanie Seymour, Naomi Campbell, Linda Spierings, Linda Evangelista, Veronica Webb et Yasmin Le Bon sont alors révélées par Azzedine Alaïa qui demeurera jusqu’à la fin de sa vie leur couturier favori et ami proche.
Au milieu des années 1990, le créateur se retire partiellement de la scène de la mode pour des motifs personnels, tout en continuant néanmoins d’honorer les commandes d’une clientèle privée et de bénéficier du succès commercial de ses lignes de prêt-à-porter.
En 1996, après une exposition en son nom au palais Corsini à Florence, Azzedine Alaïa expose ses créations dans la même ville à la Biennale de la mode et choisit pour décor les oeuvres du peintre Julian Schnabel.
En 1998, le musée Groninger aux Pays-Bas accueille une exposition rassemblant les créations des débuts du couturier aux côtés d’oeuvres signées de nombreux artistes tels que Basquiat, Picasso, Cesar, Kiefer et Christoph von Wehye. Deux ans plus tard, ses collections côtoient celles d’Andy Warhol dans le cadre de la rétrospective consacrée à l’artiste du pop art organisée par le musée Guggenheim SoHo à New York. Une manière de flouter les frontières entre les beaux-arts et la haute couture.
En 2000, Azzedine Alaïa conclut un partenariat avec le groupe Prada, offrant une seconde existence au couturier. En 2007, il rachète sa marque et signe un nouvel accord avec le groupe suisse Richemont. Demeurant relativement fidèle à ses valeurs, la marque Alaïa connaît une croissance constante grâce une stratégie d’expansion soutenue par Richemont ainsi qu’au développement d’un projet de parfum.
En 2012, le musée Groninger met une nouvelle fois le couturier à l’honneur avec « Alaïa in the 21st century », une exposition consacrée cette fois à ses collections plus récentes. L’année suivante, Olivier Saillard, directeur du Palais Galliera, le célèbre musée de la mode à Paris qui rouvre ses portes après de longues années de rénovation, rend un hommage vibrant à Azzedine Alaïa en lui dédiant une exposition historique aux allures de rétrospective de l’oeuvre du couturier, la seule à ce jour. L’événement coïncide avec la Paris Fashion Week. Dans la lignée de cette exposition, la salle Matisse du musée d’Art moderne abrite une installation en l’honneur d’Azzedine Alaïa, ouvrant une fois encore le dialogue entre l’art et la mode.
À l’ère de l’immédiateté, et du « fast-fashion », Azzedine Alaïa présente ses défilés selon son propre calendrier, en dehors des Fashion weeks. Il ne tweet pas, n’a jamais utilisé d’ordinateur. Il lui arrive de proposer la même robe « indémodable » deux ans de suite. Ses rares défilés se déroulent en petit comité dans son atelier-boutique du Marais. « On vend quand c’est prêt. » Malgré les plus de deux millions d’entrées disponibles sous son nom sur Google, il demeure inclassable. « Hors codes, hors système, hors normes… Azzedine Alaïa le créateur le plus discret du monde, est hors tout. Sauf hors sujet. »
Parmi ses robes qui l’ont rendu célèbre:
-Grace Jones, défilé couture printemps/été, Paris 1986
-Linda Evangelista,défilé printemps/été, Paris 1990
-Naomi Campbell, défilé prêt à porter automne/Hiver 1991
Ses plus belles robes portées par les stars:
-Diane Kruger, 9 juillet 2012 à NY
-Rihanna, 55th Annual Grammy Awards, Los Angeles 2013
-Michelle Obama, discours de l’état de l’Union, Janvier 2014
-Lady Gaga, 87th Annual Academy Awards, Holywood 2015
Azzedine Alaïa est devenu en un demi-siècle, sans publicité ni promotion pour ses vêtements, internationalement reconnu avec ses robes sculpturales. L’important est d’abord et avant tout « que ça tourne autour du corps, de profil et de dos ». De la nuque à la naissance d’une jambe, il recompose une leçon magistrale sur le corps dont il a fait sa page blanche, son tableau noir. Il est le dernier à savoir modifier la forme d’un vêtement en le repassant.
Si Yves Saint Laurent a donné le pouvoir aux femmes, Azzedine Alaïa leur a rendu l’intelligence et l’honneur du corps. La fierté de leurs courbes enfouies, après des années d’oversize et d’unisexe. Cette force de l’instinct dont il a fait un vestiaire, en supprimant les pinces et en resserrant la taille, leur prouvant que c’est « lorsque rien n’est tenu » que le corps « lâche ». Lui, un redresseur de temps, un chirurgien de l’allure.
Ce « tunisien miniature qui a peuplé les rues de créatures de rêve » va beaucoup manquer au monde de la mode…. et aujourd’hui une question subsite: que va devenir la maison Alaïa sans Azzedine?
Chloé Spatzierer
Sources:
Azzedine Alaïa le prince des lignes – Laurence Benaïm
https://femmesdetunisie.com/biographie-dun-createur-dexception-azzedine-alaia/
https://www.letemps.ch/lifestyle/2017/11/18/hommage-azzedine-alaia-decede-77-ans
https://fr.wikipedia.org/wiki/Azzedine_Alaïa
http://fearlessinbeijing.blog.lemonde.fr/2013/09/27/alaia-images-inedites-des-annees-1984-1985/