La saharienne d’Yves Saint Laurent : Toucher l’Afrique du bout des doigts

D’abord ressuscitée sous le crayon d’Hedi Slimane en 2013, c’est maintenant au tour d’Anthony Vaccarello de faire renaitre de ses cendres, tel le phénix, la saharienne d’Yves Saint Laurent sur le podium de la fashion week lors de sa collection printemps 2017. Retour sur une pièce iconique qui traverse les générations.

La saharienne est une veste en toile de lin ou de coton à quatre poches plaquées dont l’usage était à l’origine militaire. Elle est portée pour la toute première fois au XIXème siècle par l’armée britannique en Inde puis par l’Afrikakorps, une division allemande pendant la seconde guerre mondiale. Elle se décline en beige, sable et kaki, trois couleurs qui rappellent son utilité première : passer inaperçu en pleine nature.

Elle quitte plus tard le vestiaire militaire pour rejoindre la panoplie des grands chasseurs et des explorateurs, se retrouvant notamment sur les épaules de l’illustre auteur des Neiges du Kilimandjaro, Ernest Hemingway lors de ses safaris en Afrique de l’Est.

 

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Ernest Hemingway au Tanganyika (actuelle Tanzanie) en 1934

Il faudra encore attendre quelques années pour qu’elle rejoigne les rangs de la mode masculine, car c’est seulement en 1953 qu’elle est consacrée à l’écran par le ténébreux Clark Galbe dans Mogambo, film d’amour hollywoodien dans lequel il donne la réplique à Grace Kelly. Cette première apparition au grand écran pare la saharienne de l’aura virile et mystérieuse du baroudeur, figure héroïque du cinéma d’aventure.

 

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Clark Galbe et Grace Kelly dans Mogambo

Puis dans les années 1960 c’est Yves Saint Laurent qui, fidèle à sa réputation de couturier disruptif, opère une fois de plus sa magie en traduisant une pièce du vestiaire de ces messieurs pour la gente féminine.

A cette époque, Yves Saint Laurent et Pierre Bergé filent le parfait amour au cœur des frénétiques Swinging Sixties, qui sont appelées ainsi en référence au mouvement culturel, d’abord londonien, qui souffla sur l’Europe un vent de libration des mœurs. Mais pas que. A cette époque se sont aussi les peuples qui se libèrent, et bon nombre de colonies françaises en Afrique déclarent leur indépendance tout en conservant néanmoins un attachement fort à leur ancien colonisateur. Ainsi le président et poète sénégalais Léopold Sédar Senghor et le ministre français des Affaires Culturelles de l’époque, André Malraux, inaugurent en 1966 à Dakar le tout premier festival international des Arts nègres. Son retentissement est tel qu’il poussera le Grand Palais à ouvrir ses portes pour y accueillir, à bras ouverts, une exposition portant sur le même thème quelques mois plus tard.

C’est donc dans un contexte de revendication identitaire des grands penseurs noirs et d’un rayonnement culturel de l’Afrique important que Saint Laurent, sans doute réceptif et sensible artistiquement parlant à ces grands bouleversements, ouvre en 1967 sa boutique Rive Gauche et consacre sa première collection au « safari look ».

Bien que son enfance à Oran ait très certainement contribué à nourrir son inspiration, l’influence est flagrante, et le résultât résolument moderne : Jupes en raphia, robes brodées de coquillages et perles de bois… Le couturier utilise des matériaux ordinaires pour créer le spectaculaire.

Ainsi ce que disait Roland Barthes sur la notion d’intertextualité « tout texte est un intertexte ; d’autres textes sont présents en lui à des niveaux variables, sous des formes plus ou moins reconnaissables : les textes de la culture antérieure et ceux de la culture environnante ; tout texte est un tissu nouveau de citations révolues » est ici tout à fait applicable au processus créatif dans lequel s’engage Saint Laurent lors de la réalisation de sa collection : Son œuvre est un tissu nouveau issu d’œuvres antérieures et de son environnement artistique à ce moment là. Mais n’est-ce pas là le lot de tous les couturiers ?

Ce qui fait toute la modernité de son approche tient dans la question de la réception de ses créations : Le public auquel s’adresse la Haute Couture, éminemment bourgeois à cette époque, avait jusque là méprisé du haut de ses rangs de perles tout ce qui pouvait toucher à l’esthétique africaine, engoncé aussi bien dans son système de pensée colonialiste que dans ses tailleurs bien rangés.

 

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A gauche : La première saharienne d’YSL en 1967 – A droite : Claudia Schiffer en 2002 lors d’un défilé hommage au Centre Pompidou.

Après avoir traduit cette pièce pour les femmes, Yves Saint Laurent la démocratise. Il se l’approprie, la rend plus féminine et moins littérale en y ajoutant un décolleté plongeant à lacets et en cintrant la taille. Ainsi, la tunique fait peau neuve et est immortalisée pour la première fois par le photographe Franco Rubartelli lors d’un shooting en République centrafricaine, portée par le mannequin Verushka qui nous livre alors une nouvelle représentation de la femme séductrice : Celle de l’amazone, figure mythologique de la femme guerrière.

 

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Mais c’est seulement à Londres en 1969, lorsqu’il prend la pose en compagnie de ses muses et fidèles acolytes, les mannequins Loulou de la Falaise et Betty Catroux, toutes deux de sahariennes vêtues, que sonne l’heure de gloire de cette pièce iconique.

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De gauche à droite : Loulou de la Falaise, Yves Saint Laurent et Betty Catroux en 1969

On l’aura compris, la saharienne a connu une multitude de déclinaisons. Reprise par d’autres couturiers, qu’ils appartiennent à la Maison Saint Laurent ou non, elle a même fait l’objet d’une exposition lui étant entièrement dédiée au Salon du vintage en 2015. La fascination qu’elle suscite pourrait être liée à un certain goût pour l’esthétique africaine que l’on retrouve bien souvent chez les artistes et créateurs, en particulier français. Cet attrait pour l’ailleurs, cette quête d’exotisme totalement fantasmé sont des vestiges de notre passé colonial. En effet, si Léopold Sédar Senghor définit l’africanité comme : « un groupe de valeurs communes aux plus anciens habitants de l’Afrique », il est également possible de rapprocher la construction du sens de ce mot à celui de « l’italianité » concept avancé par Barthes dans sa Rhétorique de l’Image. En ce sens, l’africanité correspondrait aux représentations collectives françaises de la culture africaine.

Marion Bieysse


Sources :

http://www.icon-icon.com/fr/mode-et-accessoires/la-saharienne-printemps-2013-de-saint-laurent-par-hedi-slimane

https://www.grazia.fr/piece-culte/la-saharienne-dyves-saint-laurent

https://www.grazia.fr/mode/les-passions-africaines-d-yves-saint-laurent-848467

http://www.leparisien.fr/magazine/envies/la-saharienne-reine-du-desert-05-04-2017-6820578.php

http://www.huffingtonpost.fr/2014/01/08/yves-saint-laurent-5-creations-revolutionne-votre-garde-robe_n_4555075.html

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