Ce que c’est que d’être marque en mode : la griffe

Entre le 24 février et le 1er avril 2018, Le Bon Marché présentait son exposition « Let’s Go Logo » où près de 130 marques étaient invitées à réinventer leur logo en long, en large, mais surtout en grand ! La tendance logo est partout… Que dit-elle sur le positionnement des marques qui l’adoptent ? Il ne se passe pas une seule seconde sans que, quelque part dans le monde, un individu ne se décide à porter le fameux T-shirt Levi’s. Mais si, vous savez, celui avec l’énorme logo floqué sur la poitrine ! Impossible de le rater. C’est précisément ce sur quoi mise la marque. Si les marques de mode et de luxe tendent aujourd’hui à se départir de ce minimalisme feutré qu’elles avaient si bien cultivé des années durant, c’est pour mieux souligner une flamboyante audace dans la visibilité outrancière du logotype.

La griffe

On parle souvent de « griffe » pour désigner l’identité d’une marque, c’est alors sa patte qu’on désigne, son univers sémiotique, son expression artistique mais aussi, et surtout, son nom. Chanel, Dior, Prada… c’est d’autant plus vrai dans le luxe, une marque se représente avant tout dans la syntaxe. Le bruit et la fureur entourant la perte de l’accent Celine le montrent bien : dès quel’on s’attaque à la graphie d’une grande maison, le scandale n’est jamais loin.C’est précisément cette sensibilité au détail qui démontre importance du logo en visibilité de marque.
Le logo rappelle l’héraldique, c’est le blason moderne. Cela parle à la fois de la société de consommation et de l’appartenance à un clan. Aujourd’hui s’opposent l’ornemental du luxe et le radical minimaliste du sport. »
 Jean-Charles de Castelbajac
A Pompéi, les boulangers déjà vantaient la qualité de leurs produits en y appliquant une marque qui différenciait la miche de pain lambda de leur produit de« luxe ». Cette logique traverse les époques : le sweatshirt Uniqlo ne renvoie absolument pas à la même symbolique qu’un article de facture relativement similaire chez une grande maison. Le gouffre symbolique ainsi créé tient souvent à peu de choses : le logo se fait alors vecteur de significations pour la marque, il est, comme un élément de méta publicité, amené à se promouvoir lui-même en synthétisant tous les axes de sa marque en un concentré hautement visible et reconnaissable.

Tigre Kenzo et serpentGucci, système de mode et médiagénie

La tendance logotype n’est pas étrangère à nos contrées. Elle puise son inspiration dans la distance nostalgique des années 80 et 90, recréant de fait un univers fantasmé et profondément référentiel dans lequel les plus jeunes peuvent se plonger sans pour autant y avoir vécu. Le succès retentissant des collections capsule Tommy Hilfiger Jeans montre bien l’appartenance des marques et de leur logo à un système de mode au sens de Barthes : la mode est un phénomène ordonné à l’évolution discontinue et endogène, elle reste extérieure à l’histoire et par là-même peut se répéter et se réinventer à l’infini. C’est ainsi que les phénomènes Converse et Stan Smith prennent un sens. Combien de fois, cependant,une tendance doit-elle se répéter avant qu’on la considère comme classique ? Alors que les rues sont envahies de tigres Kenzo bariolés et de serpents Gucci stendhaliens, la force de l’image saute aux yeux : le logo, lorsqu’il cesse de trouver son autonomie créative à lui seul à force d’usure, renaît simplement par d’autres moyens. Ainsi, il faut trouver la forme ou l’image qui pourra le plus aisément« marquer » au sens fort, laisser la marque entrer dans l’individu.C’est tout un système de médiagénie qui se développe : le vêtement, devenu plateforme de communication, voit son sens premier détourné dans le but de renforcer le message. On peut alors comprendre la naissance des vêtements recomposés, aux coutures décalées ; les utilisations du patchwork, du fluo ou encore des polices gothiques et illisibles. Toute stratégie est bonne pour rompre la monotonie du logotype et engager, à travers la vision du quidam, tout un engrenage de réflexion – parfois même involontaire – sur la mode.

Le cas Margiela

Il en est pourtant qui échappent à la règle : la maison Margiela, à l’image de son créateur,s’est toujours défiée des codes en se plongeant dans un relatif anonymat.Adulée par les initiés, méconnue des profanes, la griffe se contente, en lieu et place d’une étiquette, de laisser à nu les fils qui devaient la coudre. On comprend par ce geste toute l’ironie de la marque : elle brille par son absence. Au-delà d’une reconnaissance immédiate du logotype et là où il est facile de devenir enseigne publicitaire, la patte Margiela c’est savoir conserver le raffinement d’une sobriété qui hurle déjà le nom qui n’est pas là.Cette esthétique est revendiquée et poussée jusque sur les podiums, où les mannequins défilent régulièrement le visage masqué, comme autant de cintres en mouvement sur lesquels des pièces sans logo et sans autre signature que les célèbres numéros de collection Margiela sont magnifiées. De la même façon qu’on différencie marque et logo, il faut dissocier le sens d’un mot de son traitement visuel. Si certaines marques ont tendances à faire dans les synonymes, force est de constater que la tendance est également au détournement. Le collectif Etudes se plait d’ailleurs à réinventer les codes du logo en confondant les possibles, c’est le cas avec leur sweatshirt « Vertige » qui reprend la graphie de la marque Virgin et la modifie juste assez pour se l’approprier en beauté. C’est peut-être là qu’est rendue la mode : le perpétuel réarrangement des signes qui la compose entraîne un jeu des tendances hautement ironique, exclusif et parfois complaisant. Mais c’est également un prétexte à rêver et le lieu d’une effervescence créative qui, elle, ne connait pas de barrières.

Jules Mahé

SOURCES : Pungetti, G.& Caputo, S. (2012). La création sans créateur : le cas de Maison Martin Margiela. Le journal de l’école de Paris du management. Burgelin Olivier. Barthes et le vêtement. In: Communications, 63, 1996. Parcours de Barthes. pp. 81-100. https://o.nouvelobs.com/mode/20180302.OBS2978/c-est-le-grand-retour-du-logo-dans-la-mode.html https://www.eyrolles.com/Chapitres/9782708126633/histoire_marque.pdf CRÉDITS PHOTOS : https://www.24sevres.com/en-fr/brands/etudes http://daftrash.co.vu/post/69387424593 https://urlz.fr/8f6P https://blog.shanegraphique.com/logomarques-de-luxe/

Commentaires

  1. Grâce aux objets publicitaires, chacun peu mettre son empreinte sur un textile !

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