Vous qui nous lisez avez surement une idée de ce qu’est le “style Chanel”. Cette élégance droite et sans chichi, ces couleurs sobres, ce tweed et ces tailleurs. On trouve aussi dans l’imaginaire de la marque le célèbre n°5, les doubles C entremêlés et les sacs molletonnés. Nul n’est censé ignoré que Gabrielle Chanel puisa son inspiration dans le vestiaire de ses amants et dans une enfance, passée au contact des nones, dans un orphelinat.
A la mort de celle qu’on appelait Mademoiselle, c’est à Karl Lagerfeld que revient la lourde tâche de reprendre la maison de haute-couture, lui qui s’était toujours revendiqué du monde du prêt-à-porter et dont la marque personnelle peinait à décoller. Son talent, il le forge avec les inspirations qu’il puisse dans un travail acharné pour tout connaitre du monde. Il se plonge ainsi dans les archives de Chanel dès sa promotion. Son premier défilé, très attendu, reçoit cependant un accueil mitigé. Yves Saint Laurent, son meilleur ennemi, évoqua même à cette occasion l’idée qu’il s’agissait d’une imitation ratée de ce qu’avait pu produire Coco.
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Des années plus tard, Défilé printemps-été 2016
Cependant, force est de constater que la maison Chanel a conservé son prestige et que Karl Lagerfeld a su en assurer la continuité, tout en préservant son passé. En effet, on ne compte plus les campagnes mettant en scène l’histoire de la maison Chanel. Après avoir filmé un court métrage sur la couturière, la marque s’est offert le luxe de racheter, en octobre 2015, “La Pausa”, une villa pensée par Coco Chanel sur la Côte d’Azur. L’objectif était et est toujours de préserver le capital historique de la maison.
C’est ce qu’on nomme communément le “Brand Heritage Management”, concept qui crée aujourd’hui des emplois nouveaux dans l’univers de la Haute Couture. Car comme il en est question dans l’ouvrage Le luxe oblige, “les marques les plus dynamiques ont entre autres un élément historique patrimonial : une Histoire vraie, authentique, qui leur donne avec du recul, de l’épaisseur, de la consistance en interne comme aux yeux des clients”. L’Histoire est donc le ciment d’une marque, elle fédère les employés et rassure les clients. C’est également une source d’inspiration non négligeable, notamment en communication. Et cela, la marque l’a très bien compris. Sous la direction de Lagerfeld elle use et abuse des références historiques, quitte à faire croire que Gabrielle Chanel adorait les bijoux, elle qui a certes décomplexé leur approche mais n’a que peu donné dans l’art de la joaillerie.
Ce retour aux sources assumé de la maison Chanel est d’autant plus paradoxal que sa fondatrice était connue pour son silence quant à son passé, pas toujours glorieux. Jamais Gabrielle Chanel n’avait prononcé le nom d’Aubazine, couvent où son père l’avait abandonnée, qui est devenu un des éléments clef du “mythe Chanel”. Mythomane Coco ? La question se pose. Durant toute sa vie elle n’a jamais cessé de camoufler ce passé de pauvresse puis d’irrégulière (équivalent de prostituée de luxe) pour ne voir que l’avenir. C’est elle qui a réduit ses frères au silence en leur versant une généreuse pension et c’est encore elle qui, quand vous lui parliez de sa ville natale faisait semblant de ne pas comprendre la question.
Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi il n’y avait pas d’Avenue Coco Chanel ? C’est parce que Gabrielle Chanel fut aussi cette femme qui fut arrêtée en 1945 par les milices de l’épuration. Sans l’intervention inopinée de Churchill, elle aurait fini tondue. Pourquoi ? Car si la maison Chanel revient à outrance sur le passé de Gabrielle, elle passe sous silence ses aspects les plus sombres. Gabrielle Chanel c’est aussi la femme qui a fréquenté un nazi pendant la Seconde Guerre mondiale et qui, en invoquant les lois aryennes, a tenté de récupérer une partie de son entreprise que possédaient des actionnaires juifs.
Après la guerre, elle ferma sa maison et ne la ré-ouvra que 15 ans plus tard. La presse française lui fit un accueil glacé, jugeant sa collection ennuyeuse et lui préférant les nouveaux couturiers prodiges comme Saint Laurent, contrairement aux Etats-Unis ou ses robes s’arrachèrent. Mais elle réalisa la prouesse de convaincre une nouvelle fois le monde entier et en quelques années, son nom était de nouveau symbole de l’élégance à la française.
Chanel et Hans Günther von Dincklage, son amant, espion nazi
Une fois la lumière faite sur une partie de son passé, une question reste. Est-il vraiment nécessaire de tout connaître de cette couturière si ce n’est qu’elle a réussi l’impossible en devenant une femme d’affaire puissante alors que tout la destinait à la misère ? Faut-il dissocier la personne du personnage ? Personnellement, je serais tentée de faire la part des choses. A titre de comparaison je pense à Céline, écrivain génial dont l’oeuvre est admirée et étudiée mais aussi antisémite notoire dont la personnalité est méprisée. Mais voilà, en s’inspirant sans cesse de son vécu, Gabrielle Chanel a tissé malgré elle un lien très fort entre son histoire personnelle et ses créations. Lien que la marque continue d’entretenir aujourd’hui et qui lui donne, aux yeux du grand public, une innocence et une pureté.
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“The Return” – Karl Lagerfeld
Je concluerai en disant que cette mémoire sélective est peut être nécessaire à la création. Alors soyez admirateurs, ébahissez-vous devant ce que cette femme a accompli et devant ce que fait son successeur. Soyez étonnés de voir avec quelle audace elle a su libérer les femmes et imposer sa vision à toute une société. Mais soyez des admirateurs avertis, qui ne confondent pas hommages et campagnes de publicité, ou encore Histoire et communication.
Héloïse Dung
Crédit images :
http://espoiretliberte.unblog.fr/2013/10/15/coco-chanel/
http://alltrends.fashion/chanel-buys-la-pausa-historic-home-of-coco/
http://www.luxebytrendy.com/0139-bijoux-chanel-pour-noel/
http://www.kafkaesqueblog.com/tag/chanel-baron-von-dincklage/