Une fois encore, le musée des Arts Décoratifs est parvenu avec brio à mettre en œuvre sa dernière exposition sur la mode : ‘Tenue correcte exigée, quand le vêtement fait scandale.’ Compte rendu.
Dressée en trois actes, l’exposition ne déçoit pas. Aspect didactique, richesse du contenu et des pièces présentées, mise en scène minutieuse sont au rendez-vous pour illustrer tour à tour ‘le vêtement et la règle’, ‘la tentation du vêtement de l’autre’ et ‘la provocation des excès’. Tout le monde en prend pour son grade, seules les tenues militaires et épiscopales sont épargnées.
Dès l’entrée, le ton est donné : les escaliers sont taggués de commentaires acerbes. Pour accéder à la première salle, le visiteur est obligé de passer par un couloir rouge encadré de miroirs, harangué par les critiques déplaisantes de voix mesquines. ’T’es mal fagotée’, ‘Tu vas à la pêche aux moules ?’ On se retrouverait presque à interroger la tenue minutieusement choisie le matin-même, que l’on ne jugeait pas si terrible.
‘L’être qui ne vient pas souvent à Paris ne sera jamais complètement élégant.’ Balzac
De tout temps, la mode a répondu à des codes vestimentaires bien précis. Des diktats de la Bible aux conseils précis de Bonne Gueule et Cristina Cordula, en passant par les manuels de savoir-vivre et autres Traité de la vie élégante de Balzac, la mode s’adapte aux us et coutumes. Chacun se doit de l’adopter. A chaque circonstance correspond une tenue adéquate, quitte à se changer plusieurs fois par jour. Ne vous en déplaise, personne n’échappe à l’étiquette. Vigée-Lebrun le comprendra au Salon de 1788, avec son portrait de Marie-Antoinette en robe chemise. Alors, quand il y a infraction aux normes vestimentaires, quand Gaultier propose le ‘dessous-dessus’ orné de formes coniques, satin rosé et surpiqûres, inspiré de la lingerie féminine, le scandale fait rage.
‘Sans contrefaçon je suis un garçon’ proclamait Mylène Farmer
Pire que le non-respect des codes vestimentaires, emprunter au sexe opposé son vestiaire. La Bible le condamne : ‘une femme ne prendra point un habit d’homme, et un homme ne prendra point un habit de femme ; car celui qui le fait est en abomination devant Dieu.’ La sentence est lourde, Jeanne d’Arc en pâtira. Pourtant, à l’instar des Teddies et autres Dietrich dans Morocco, les femmes ne cesseront de transgresser les codes : vestes de chasse, chapeaux réservés aux hommes, pantalons et smoking. Quand la garçonne se veut androgyne. Au contraire, quelques élégants, macaronis, dandies et petits maîtres, refuseront la mode masculine trop austère, au risque d’être accusés de travestissement et coquetterie excessive. Pourtant, la mode unisexe des 90s, adaptées à tous, sera tout aussi controversée.
‘Ce mec est too much, ce mec est trop’ disaient les Coco Girls
Aux tendances jugées trop courtes telles que la minijupe de Kant, succèdent finalement les trop couvrantes –rationnement du tissu oblige, le New Look de Dior en payera le prix. Trop moulant, le vêtement épouse les formes et révèlent l’anatomie que l’on préfèrerait cacher ; trop étroit, à l’instar des costumes taillés par Hedi Slimane pour Dior dans les années 2000, il effémine et porte atteinte à la posture virile de l’homme. Au contraire, trop ample, il paraît disgracieux et informe. Culotte à la rhingrave, Zoot suit, plus récemment pantalon pattes d’eph’ et baggy n’ont pas bonne presse. Fourrures, déchirures, couleurs criardes. Tout risque de devenir sujet à controverses. Toutefois, le vêtement n’est pas le seul à faire scandale ; sa mise en scène est aussi l’objet de nombreuses critiques. McQueen, Margiela, Galliano pour Dior Couture en 2000 inspiré des sans-abris de La Belle et le clochard, nombreux sont les créateurs qui ont choqué et défrayé la chronique.
Bipolaire, la mode n’a d’égal à sa magnificence que sa schizophrénie. En somme, ‘si la mode séduit les uns, elle agace les autres’, maxime lapidaire qui illustre savamment son caractère indécis et dictatoriale.
Pourtant, en accordant une importance cruciale aux vêtements et à l’apparence, ne risquons-nous pas de passer à côté de l’essentiel ? Au lieu d’être objet de condamnation, le rôle du vêtement n’est-il pas d’être au service de celui qui le porte ? Yves Saint Laurent dit un jour : ‘Avec les années j’ai appris que ce qui compte dans une robe c’est la femme qui la porte.’ A juste titre.
Hélène Yvert
Tenue correcte exigée : quand le vêtement fait scandale
Au musée des Arts Déco jusqu’au 23 mars 2017.
Crédit photo:
Musée des arts décoratifs
Hélène Yvert