Originaire du Congo-Kinshasa, Mariana Benenge est danseuse, styliste et créatrice. Depuis la sortie de sa dernière collection EFFRAKATA, Tantine de Paris connaît un succès fulgurant et remet sous le feu des projecteurs la sapologie. Mariana a accepté de nous accorder un entretien pour parler plus en profondeur de son parcours, de ses inspirations et de cet héritage congolais que revendique sa marque.
La commode (C) : Bonjour Mariana, merci de nous accorder cet entretien. Tu es une personnalité publique avec un parcours très diversifié : danseuse, styliste, et créatrice de la marque Tantine de Paris. Tu viens à l’origine du milieu de la danse, qu’est ce qui t’as amené vers le monde de la mode ?
Mariana Benenge (M.B ) : Je suis danseuse et je fais notamment du waacking. [ Une danse née dans les années 70 qui est pratiquée dans les club disco gay de Los Angeles] . Les vêtements y ont une place super importante. Je dirais même que cette passion pour la mode est liée à mon héritage congolais. Au Congo on a besoin de bien s’habiller c’est vraiment une base. Si tu sors mal habillé les gens vont vraiment te juger, du coup j’ai très vite développé un goût pour la mode. Les danses que je pratique, les milieux que je côtoie comme la ball-room par exemple, m’ont fait comprendre qu’il n’y avait pas de limite. La fréquentation de ces lieux et mon héritage kinois ont fait ressortir ce côté là chez moi. J’ai commencé à m’habiller, faire mes sapes et créer des looks de ouf, mon entourage m’a encouragé à créer ma propre marque et j’ai fait une première collection capsule qui a super bien marché à ma grande surprise. Ensuite la danse est allée super vite pour moi, j’ai été un an à l’Opéra de Paris et je n’avais plus de temps à consacrer à Tantine de Paris. Finalement avec le confinement, j’ai eu le temps de me pencher sur ma marque, de penser une nouvelle collection et de travailler avec des couturiers. La nouvelle collection est plus ouf que la première, j’ai déposé le nom de la marque pour bien faire les choses.
C: Comment est ce que tu te situerais par rapport à la sapologie ?
M.B: Il existe une véritable communauté de sapologues, dont je ne fais pas vraiment partie. C’est plutôt des tontons à nous, comme Norbat de Paris, que j’ai d’ailleurs invité dans mon défilé, qui sont représentants de cette communauté. Nous, la nouvelle génération, on est plutôt des gens hyper intéressés par la sape mais les vrais sapologues ont une manière de vivre, de parler de s’exprimer à part entière. C’est des personnes qui m’inspirent énormément et que j’ai toujours eu autour de moi quand j’étais au Congo.
Mariana Benenge, fondatrice de la marque Tantine de Paris
C: Dans la première partie de notre article on a pu voir que la sapologie était un mouvement politique et identitaire. Est ce que tu partages cette vision de la sapologie ?
M.B: Je pense que derrière tous les mouvements il y a une revendication, en particulier lorsque ça touche aux vêtements qui sont un moyen d’expression. Les sapologues à la base c’est des gens qui ont pas forcément les moyens et qui cherchent à exprimer une certaine richesse, une opulence à travers leurs vêtements. Et moi c’était un peu mon cas. Je pouvais pas m’acheter du Gucci du Chanel etc.. j’ai cherché à créer des vêtements qui ressembleraient mais en mieux à ces marques. Je pense que la sapologie est toujours politique. Les sapologues de Paris ils ont leur crew, ils font leur réunion et continuent de se battre. Norbat passe à la télé, il essaie vraiment de montrer que les sapologues on est là et qu’on a un sens de la mode unique.
C: Justement puisque tu parles de télé et de médiatisation du mouvement, on a pu voir que le mouvement est de plus en plus utilisé par les marques. Qu’est ce que tu penses de cette utilisation est ce que quelque part ça ne fait pas perdre au mouvement son identité ?
M.B: Bah.. ça c’est un peu la zone grise avec les phénomènes de récupération. C’est hyper bien d’être vu parce que quand tu fais partie d’une communauté t’as besoin qu’elle soit représentée, rendue visible et reconnue. Maintenant, on sait aussi que nos mouvements font toujours l’objet de manipulation, qu’ils sont utilisés à leur avantage. Moi tant que ça bénéficie à la communauté ça me va. Lorsque Comme des Garçons a embauché des sapologues pour faire un défilé de sapologie j’étais contente. Si par contre une marque fait un défilé de sapologie sans faire appel à de véritables sapologues, alors là ça devient de l’appropriation. On rencontre exactement les mêmes problèmes dans la danse avec le waacking et toutes ces danses hyper politiques et communautaires.
C: Revenons à ta marque Tantine de Paris. C’est hyper intéressant de mettre la femme au cœur de ta marque alors que la sapologie est un mouvement porté plutôt par des figures masculines, tu as cité Norbat de Paris et le Bachelor par exemple. D’où vient le mot tantine et pourquoi avoir fait ce choix ?
M.B : Ma première inspiration c’est ma mère, mes tantes et les femmes de la diaspora congolaise qui m’ont entourée quand je suis arrivé ici et quand je suis allée à Château d’eau. Les femmes autour de moi ont toujours été des sapologues, mais quand je dis sapologue c’est surtout pour dire qu’elles étaient de vraies fashionistas. Elles ont toujours été bien habillées, elles étaient extravagantes, portaient de grands chapeaux et allaient au mariage habillées comme si elles étaient les mariées (rire). Donc j’ai gardé cet héritage. Puis la Tantine c’est une figure spéciale à laquelle on m’a tout de suite associée : c’est ni une maman ni une tante. J’étais la fille cool à qui tu peux parler calmement, te confier. Avec mon accent, les gens n’arrêtaient pas de me dire « toi t’es une tantine ». J’ai vite compris que c’était ma force, que je devais embrace cette facette et vu que j’adore Paris et que pour moi c’est la plus belle ville niveau mode, ça a donné Tantine de Paris. (…) Lorsque t’es une femme noire, une femme racisée, c’est hyper difficile de s’accepter et si tu te montres trop les gens pensent que tu frimes, c’est peut être ce qui explique l’effacement des femmes dans le mouvement de la sapologie. Mais moi de ce que j’ai vu de la sapologie à Paris, les femmes étaient tout de même présentes.
C: Donc la figure féminine est celle qui a inspiré tes créations, est ce que tu dirais que c’est aussi à elle que s’adresse ta collection ? Qui est le public visé par Tantine de Paris ?
M.B : La marque porte le nom Tantine de Paris et le mot tantine est lié à mon histoire personnelle. Mais dans Tantine de Paris y’a pas que des vêtements pour femme. En réalité mes vêtements sont non genrés, je les fais pour tous le monde peu importe le genre, la personne. Dans ma marque y’a la mise en valeur de femmes qui s’affirment parce que j’ai toujours été entourée de femmes hyper lookées mais les tontons sont aussi là dedans, et c’est pour ça que c’était hyper important pour moi le soutien de Norbat par exemple parce que c’est un tonton qui est là pour tantine de Paris et ça crée quelque chose de beau.
C : On peut revenir un instant sur ton désir de faire des collections non genrées. On a pu voir que ta marque avait beaucoup d’échos auprès de personnes membres de la communauté LGBTQ, comment tu ‘analyses cette force qu’elles te donnent ?
M.B: La communauté LGBTQI+ déjà c’est une communauté dont je fais partie, c’est une communauté qui m’a toujours soutenue et dans laquelle j’ai vraiment pu être moi même. Dans la ball-room les gens m’ont boostée, ont poussé ma créativité à bout et les Revlon [ Maison de danse fondée par Vinii Revlon] c’est comme ma deuxième famille. Quand je dis que le vêtement n’a pas de genre c’est une prolongation de que ce que je pense. On a attendu que certains créateurs aient l’idée de bousculer la norme des genres dans les codes vestimentaires alors que les congolais étaient déjà en avance dans les imaginaires, Koffi Olomide met des jupes depuis bien longtemps. Les codes vestimentaires sont marqués par une vision occidentale de ce que doit être un vêtement alors qu’à la base c’est un vêtement, t’en fais ce que tu veux.
C: Quel avenir est ce que tu vois pour la sapologie ? Penses tu que le mouvement pourra être récupéré par les prochaines générations ?
M.B: C’est vrai qu’on est dans une phase du fast-fashion, y’a plus ce goût d’être hyper bien habillé. Aujourd’hui la mode est plutôt comfy, sweat-shirt etc ce qui n’est pas mal en soi. Disons que les jeunes n’ont plus envie de produire autant d’effort pour être bien habillés. Quand je travaille en tant que styliste pour de jeunes artistes, je vois bien que c’est compliqué pour eux de mettre une bague, un bracelet, un col roulé. Ils sont plutôt en mode « pourquoi tu me donnes pas juste un ensemble Nike et ça me va » tu vois ? C’est hyper important de transmettre et moi je compte bien faire perdurer le goût du vêtement, l’envie d’être spécial chaque jour, mais c’est vrai que la tendance est plutôt inverse.
C: Quelles sont les perspectives d’évolutions pour Tantine de Paris et est ce que la marque va poursuivre dans cet héritage de la sapologie?
M.B: Mes plus grosses inspirations c’est le Congo, et je veux montrer que l’Afrique n’est pas réductible au wax c’est pour ça qu’il y en a pas dans mes collections. Pour l’avenir j’aspire à rendre ma marque plus écologique, à toucher plus de gens et habiller des super-stars. J’espère pouvoir ouvrir ma boutique et dessiner une collection à destination des enfants aussi, des petits tantineurs (rires) En tout cas une des choses qui me tient à cœur c’est de garder cet aspect très coloré parce que je sais qu’on est dans une époque ou la couleur c’est pas forcément à la mode et ça se perd.
C: Est ce que Tantine de Paris aspire à devenir une marque de haute couture et a pour ambition de rivaliser avec les grandes maisons ou se dirige plutôt vers le lancement d’une ligne de prêt à porter?
M.B: Faire des vêtements qui sont portés que par des super-star ça m’intéresse pas vraiment, mais Tantine de Paris c’est évidemment pas des habits pour tous les jours. Je veux que ce soit abordable pour les gens et qu’ils puissent porter mes vêtements pour des occasions réelles ou mentales. Genre si aujourd’hui t’as envie d’être remarqué tu sais que dans ton armoire t’as un vêtement Tantine de Paris qui va te rendre spécial.
C: Pour conclure cette interview, est ce que ça t’intéresserais d’habiller Koffi Olomide ?
M.B ; Mais bien sûr ! Ça va arriver c’est sûr, et ça serait un honneur parce qu’il est une véritable inspiration niveau sape, il a un sens du goût unique.